vendredi 29 mai 2009

Lettre ouverte - Krugman edition

Cher Monsieur Krugman,

Dans l'un de vos récents edito, vous donnez votre appréciation sur la grande crainte de l'inflation, qui s'est selon vous glissé récemment dans les média à la faveur, dites-vous, d'une campagne très largement politique.

"I suspect that the (big inflation) scare is at least partly about politics rather than economics." Ce n'est pas n'est notre avis. Et si vous prenez le soin de regarder avec attention l'origine des attaques et surtout le pedigree exact des économistes et commentateurs, vous en conviendrez avec nous qu'il ne s'agit pas d'une attaque issue du parti républicain.

Celles et ceux qui aujourd'hui évoquent la question de l'inflation ne sont pas, ni de près ni de loin, politisés. Ce sont pour la plupart des épargnants, et leurs représentants souvent marginalisés, y compris au sein des mouvements conservateurs, qui ont fait le choix de la confiance dans l'épargne fiduciaire et qui examinent la situation. Certains, retraités en particulier, n'ont guère d'autre choix de la confiance dans l'épargne fiduciaire. Et nombre d'entre eux disposent de revenus modestes et non indexés. Et participent via leur épargne fiduciare longue à un mécanisme essentiel au fonctionnement d'une économie saine et viable.

Parmi ces épargnants une grande part de non-nationaux, qui n'utilisent pas le dollar comme instrument de leurs échanges usuels. Mais qui examinent avec une crainte croissante l'évolution des budgets des grands états de l'OCDE. Nos pays sont globalement en paix, ne se relèvent d'aucun traumatisme particulier sur le plan humanitaire et ne financent plus guère d'infrastructures lourdes. Et pourtant l'examen, un tant soit peu honnête, de leurs comptes, n'appellent qu'à la vigilance croissante.

Les taux de refinancement des dettes publiques vont monter. Vous le savez, comme nous-même. Et ils ne dépendent pas de l'autorité publique. Mais de la réalité objective des marchés. Les manipulations subtiles par les autorités monétaires des marchés obligataires ont bien servi la cause d'une spéculation sans limite des opérateurs économiques. durant une bonne part de la décennie qui vient de s'écouler. Tout particulièrement aux Etats-unis. Chacun se rappelle la politique de Monsieur Greenspan. Ces interventions seront bientôt inopérantes.

Car ces fonds d'épargne fournis à prix cassé et placés sans justification financière décente ont eu un cout économique. A l'issue d'une période de gabegie de ce qui est une ressource particulièrement rare - l'épargne privée nette ordinaire, on peut raisonnablement douter que les interventions des grands argentiers sur les marchés obligataires permettent à nouveau ce genre d'acrobatie.

Cher Monsieur Krugman, nous comprenons l'attachement que vous portez à vos convictions politiques et à la vivacité de interventions dans le débat national US. Qui sont tout deux éminemment respectables. Mais, cette question n'est pas un débat politique intra-américain. Mais un problème d'arithmétique élémentaire "L'épargne est-elle rentable ?". On la résumera à une question directe : "Comment à évolué le pouvoir d'achat objectif d'une somme 100 dollars US du 1er janvier 2000, dument rémunérée par les marchés obligataires ? " (*)

Bien cordialement

(*) On vous remerciera de ne pas limiter votre panier d'achat à des produit issus de la production industrielle de pays asiatiques. Et d'intégrer dans votre analyse les défauts anticipés de règlement de la sphère obligataire privée US porteuse de l'épargne sus-mentionnée. Et, bien sûr, une certaine prime de risque. Notamment si l'on opère sur des périodes plus longues. Et depuis un pays tiers.

vendredi 15 mai 2009

Lettre ouverte au cher Professeur

Cher Monsieur Roubini,

Dans l'un de vos récents edito, vous émettez l'hypothèse de l'installation du Renminbi parmi les monnaies dites de réserve. Détrônant par la même occasion le dollar du socle sur lequel il sortit, solidement fixé, tout naturellement des évènements de la seconde guerre mondiale.

Une lecture attentive du texte nous permet de percevoir les nuances du texte et son articulation. Et surtout le caractère hypothétique et éminemment provocateur de la proposition dont on aura bien compris qu'elle vise surtout à alerter l'Amérique du Nord sur l'urgent retour aux grands équilibres !

Pour autant, puis-je me permettre de questionner la proposition tout autant que le procédé journalistique. Car la question des échanges monétaires internationaux se pose désormais avec une acuité sans précédent historique. Elle ne se réduit plus à la question de la substitution d'une "monnaie de réserve" par une autre. Ni même encore plusieurs autres tout aussi mal gagées. Car c'est désormais tout l'édifice élaboré depuis Bretton Woods qui est fragilisé dans son ensemble. Et ce à l'extrême.

Du bilan des états-nations de l'OCDE à celui des banques en passant par celui désormais en ligne de mire des grands argentiers appelés à jouer les variables d'ajustement, c'est la construction même du système assurant la régulation des échanges commerciaux et financiers internationaux qui est en péril.

On peut évidemment raisonnablement estimer que le système monétaire actuel est toujours en mesure d'assurer le support des flux désormais à très court terme du commerce mondial. Certes les volumes échangés ont cru à un niveau sans précédent historiques. Mais a contrario les cycles commerciaux, à flux tendus, sont désormais particulièrement cours. En dépit des difficultés, le système monétaire assurera toujours sans difficulté son rôle de "moyen d'échange" sans difficulté. En revanche au vu des déséquilibres en place, n'est-il pas illusoire de penser que la notion même de "monnaie de réserve" puisse perdurer dans son format actuel ? Même sous un format de panier monétaire.

Il faut effectivement évaluer l'hypothèse selon laquelle les monnaies de réserve perdraient durablement leur rôle de "store of value" de long terme, leur importance refluant massivement sur les marchés. Les échéances longues devenant, à juste titre, difficilement négociables sur les marchés obligataires internationaux.

Comme le remarque avec ironie Brad SetSer dans un post récent, l'investisseur privé chinois dédaigne désormais le dollar. Et c'est à la volonté politique d'acteurs tel que l'état chinois que le "marché obligataire" international doit l'essentiel de son considérable appétit pour la dette nord-américaine ("That is one of many ironies of the Bretton Woods 2 system. Its stability hinges on the willingness of central banks in the key surplus countries to buy dollars when private investors in their countries won’t.").

L'amélioration de la visibilité du Yuan et sa potentielle libre-convertibilité seraient autant de mesures susceptibles d'apporter de l'oxygène au système monétaire international en réduisant le flux des émissions obligataires souveraines transnationales qui parasitent désormais massivement les les marchés financiers internationaux.

Pour autant, "en l'état des grands dés-équilibres," les monnaies de réserves ne sont-elles pas appelées à refluer pour reprendre un statut qu'elle n'auraient jamais du quitter ? Celui d'un simple outil de règlement des transactions commerciales internationales.

La presse a qualifié de "credit crunch" la glaciation relative du financement transnational privé . Cette réduction des flux financiers transnationaux n''est-elle pas tout simplement inéluctable voire même économique nécessaire ? Pour mettre un terme aux considérables "mis-allocations" de capitaux - erreurs d'investissements, dirions-nous - des dix dernières années. Et même politiquement souhaitable ?

Du défaut d'une grande banque internationale à celui d'un grand état de l'OCDE, le vide juridique est considérable. De plus il n'existe aucune construction juridique transnational vraiment solide de règlements des litiges touchant aux très grands défauts de créances à l'international auxquels nous allons être confrontés ? N'est-ce pas plus raisonnable dans ce contexte de voir le rôle des grandes monnaies refluer à un rôle plus conforme à leur solidité financière ? Et surtout n'est-ce pas plus porteur de sérénité et de paix civile ?

Dans un contexte de cette nature, à très haut risque, on pourra comme Jacques Attali appeler de ses vœux la mise en place d'une gouvernance financière mondiale. Ou peut-être plus surement analyser la situation actuelle avec les grilles de lecture d'un Jacques Rueff ou d'un Wilhelm Roepke. Qu'auraient-ils dit de l'imbroglio en cours ?

PS: on pourra lire avec intérêt sur le sujet du rôle des banquiers centraux l'article récent écrit pour Asia Times par Hossein Askari and Noureddine Krichene

lundi 4 mai 2009

“We’ll never give up on new investments,”

“We’ll never give up on new investments” , "nous ne renoncerons jamais aux investissements". Cette phrase extraite d'une conférence de presse d'un dirigeant d'un des plus grands armateurs chinois donne le ton. En plein marasme économique. Ce genre de nouvelle n'est évidement pas de nature à rassurer l'actionnaire privé sur l'avenir financier de cette entreprise.

Nous ne dramatiserons inutilement pas la nouvelle de Bloomberg. La construction et le lancement de nouveaux navires de commerce tient plus de la nécessité sociale impérative que la myopie financière.

Les autorités chinoises ont mis en place une politique d'incitation forte à l'investissement. Politique massive contra-cyclique destinée à forcer l'allure en cette période marquée par un retrait de la grande exportation, majoritairement à destination des pays de l 'OCDE. Les industriels suivent. C'est en l'espèce simple et justifiable. Au moins court terme.

Cette politique donne d'ailleurs déjà des résultats conformes aux attentes des dirigeants dans la mesure où les volumes nominaux d'investissement ont cru de manière spectaculaire. On lira à ce propos avec intérêt les post du blog de Michael Pettis. Lequel nous alarme utilement sur l'étranglement du secteur des PME et de l'économie de services, un véritable avant-poste de la consommation locale. Signe que l'économie chinoise est toujours dans la logique précédente.

Je suis persuadé, comme Michael, de la nécessité de voir l'économie chinoise se re-balancer en faveur d'une économie faisant une plus large part au consommateur local. Et tout autant convaincu que l''étranglement en cours du secteur des PME trahit vraisemblablement la difficulté qu'a le pays à re-concevoir partiellement ce qui a fait la force de la Chine depuis une vingtaine d'années. De ce point de vue, c'est la question majeure du moment. Pour l'ensemble de la planète.

La question n'est pas aujourd'hui de savoir si cet argent dépensé en 2009 va irriguer utilement et efficacement le tissu économique chinois ou, à l'inverse, accroitre ses déséquilibres actuels et, in fine, ceux de l'économie mondiale. Finalement peu importe à court terme. La véritable interrogation porte sur la capacité d'un pays à revoir un "modèle économique de développement" qui a fait ses preuves. La Chine peut à court terme continuer sur les rails mis en place durant la décennie précédente. Mais au delà, comment le pays pourra-t'il infléchir ses axes de développement ?

Il convient d'être réaliste sur ce plan. Un grand pays revoit rarement sinon jamais ses fondamentaux de développement. Lesquels sont d'abord le fruit de son histoire, de sa culture et des évènements et surtout du "génie" de son propre peuple. La volonté politique et des orientations des dirigeants n'interviennent qu'à titre subsidiaire. Elles ne sont bien souvent que l'"art du possible".

En l'espèce, la situation est un peu différente. Les autorités chinoises disposent effectivement d'une marge de manœuvre. Une capacité à maitriser le cours des choses qui est à la fois financière - en raison de ses réserves de change - et politique - grâce à un remarquable parcours depuis Mao.

Pour autant, il ne faut pas négliger un facteur essentiel, la brutalité du retournement de cycle. Il est peu probable que l'économie mondiale retrouve la dynamique qui a marqué le début des années 2000. Et il n'est plus envisageable de continuer la partie en cours, la fameuse globalisation, dans ses conditions récentes marquées par des déficits commerciaux structurels massifs.

La Chine doit trouver dans un avenir relativement proche - disons deux à trois années - de nouveaux ressorts pour sa croissance. Les échanges internationaux se retrouvent fragilisés par l'insécurité croissante de ses instruments de paiement, y compris ceux réputés les plus solides, les monnaies de compte internationales. Et seul un ré-équilibrage progressif des balances commerciales les plus détériorées peut permettre d'éviter le pire.

La Chine doit s'inscrire dans ce mouvement. De la voitures à l'électronique grand public, et au secteur du luxe et du tourisme la planète a besoin de de voir le citoyen chinois arbitrer par sa consommation personnelle la situation économique et financière en cours.


Si les autorités chinoises tentent de forcer financièrement le pays dans une direction trop unilatéralement productiviste et mercantiliste via des investissements massifs dans les infrastructures publiques et industrielles, les marges de manœuvre pourraient disparaitre très rapidement. Et le pays manquer ses chances historiques. Et ce d'autant plus rapidement que ces investissements auront été conçus dans un esprit qui risque de devenir rapidement terriblement old hat.

Old hat les usines ultra-modernes sans le moindre client, les infrastructures portuaires sans activité, les capacités sidérurgiques en plein marasme international ... La photo-souvenir pourrait prendre des allures de désastre.

On suivra donc avec intérêt les évenements à venir et on continuera de guetter les nouvelles issues de Chine et portant sur les choix de développement et sur l'inflation.

Concernant le premier point, les choix de développement, le débat interne n'est pas hélas réellement accessible en direct pour des raisons tant linguistiques que politiques. On est le plus souvent réduit à l'anecdote. Comme dans le cas mentionné aujourd'hui. Et c'est dommage.

Le second plan - la politique monétaire - est encore plus crucial. encore La politique de reflation massive des investissements - est elle-même une conséquence directe des flux monétaires extérieurs. La masse monétaire chinoise croit et d'autant plus que ses taux de change ont été fixés à un niveau fixe arbitrairement bas.

La politique monétaire est souvent plus lisible que les débats proprement politiques, quelque soit le régime politique. Et c'est pourquoi on doit pouvoir se pencher avec intérêt sur les déclarations et les décisions de la banque centrale de Chine. Au même titre que sur celles de ses alter ego des autres grands pays industriels. Je tenterai de le faire pour mes lecteurs dans les mois à venir. Car il s'y joue sans aucun doute une part du succès de la mécanique économique mondiale des dix prochaines années.