vendredi 15 mai 2009

Lettre ouverte au cher Professeur

Cher Monsieur Roubini,

Dans l'un de vos récents edito, vous émettez l'hypothèse de l'installation du Renminbi parmi les monnaies dites de réserve. Détrônant par la même occasion le dollar du socle sur lequel il sortit, solidement fixé, tout naturellement des évènements de la seconde guerre mondiale.

Une lecture attentive du texte nous permet de percevoir les nuances du texte et son articulation. Et surtout le caractère hypothétique et éminemment provocateur de la proposition dont on aura bien compris qu'elle vise surtout à alerter l'Amérique du Nord sur l'urgent retour aux grands équilibres !

Pour autant, puis-je me permettre de questionner la proposition tout autant que le procédé journalistique. Car la question des échanges monétaires internationaux se pose désormais avec une acuité sans précédent historique. Elle ne se réduit plus à la question de la substitution d'une "monnaie de réserve" par une autre. Ni même encore plusieurs autres tout aussi mal gagées. Car c'est désormais tout l'édifice élaboré depuis Bretton Woods qui est fragilisé dans son ensemble. Et ce à l'extrême.

Du bilan des états-nations de l'OCDE à celui des banques en passant par celui désormais en ligne de mire des grands argentiers appelés à jouer les variables d'ajustement, c'est la construction même du système assurant la régulation des échanges commerciaux et financiers internationaux qui est en péril.

On peut évidemment raisonnablement estimer que le système monétaire actuel est toujours en mesure d'assurer le support des flux désormais à très court terme du commerce mondial. Certes les volumes échangés ont cru à un niveau sans précédent historiques. Mais a contrario les cycles commerciaux, à flux tendus, sont désormais particulièrement cours. En dépit des difficultés, le système monétaire assurera toujours sans difficulté son rôle de "moyen d'échange" sans difficulté. En revanche au vu des déséquilibres en place, n'est-il pas illusoire de penser que la notion même de "monnaie de réserve" puisse perdurer dans son format actuel ? Même sous un format de panier monétaire.

Il faut effectivement évaluer l'hypothèse selon laquelle les monnaies de réserve perdraient durablement leur rôle de "store of value" de long terme, leur importance refluant massivement sur les marchés. Les échéances longues devenant, à juste titre, difficilement négociables sur les marchés obligataires internationaux.

Comme le remarque avec ironie Brad SetSer dans un post récent, l'investisseur privé chinois dédaigne désormais le dollar. Et c'est à la volonté politique d'acteurs tel que l'état chinois que le "marché obligataire" international doit l'essentiel de son considérable appétit pour la dette nord-américaine ("That is one of many ironies of the Bretton Woods 2 system. Its stability hinges on the willingness of central banks in the key surplus countries to buy dollars when private investors in their countries won’t.").

L'amélioration de la visibilité du Yuan et sa potentielle libre-convertibilité seraient autant de mesures susceptibles d'apporter de l'oxygène au système monétaire international en réduisant le flux des émissions obligataires souveraines transnationales qui parasitent désormais massivement les les marchés financiers internationaux.

Pour autant, "en l'état des grands dés-équilibres," les monnaies de réserves ne sont-elles pas appelées à refluer pour reprendre un statut qu'elle n'auraient jamais du quitter ? Celui d'un simple outil de règlement des transactions commerciales internationales.

La presse a qualifié de "credit crunch" la glaciation relative du financement transnational privé . Cette réduction des flux financiers transnationaux n''est-elle pas tout simplement inéluctable voire même économique nécessaire ? Pour mettre un terme aux considérables "mis-allocations" de capitaux - erreurs d'investissements, dirions-nous - des dix dernières années. Et même politiquement souhaitable ?

Du défaut d'une grande banque internationale à celui d'un grand état de l'OCDE, le vide juridique est considérable. De plus il n'existe aucune construction juridique transnational vraiment solide de règlements des litiges touchant aux très grands défauts de créances à l'international auxquels nous allons être confrontés ? N'est-ce pas plus raisonnable dans ce contexte de voir le rôle des grandes monnaies refluer à un rôle plus conforme à leur solidité financière ? Et surtout n'est-ce pas plus porteur de sérénité et de paix civile ?

Dans un contexte de cette nature, à très haut risque, on pourra comme Jacques Attali appeler de ses vœux la mise en place d'une gouvernance financière mondiale. Ou peut-être plus surement analyser la situation actuelle avec les grilles de lecture d'un Jacques Rueff ou d'un Wilhelm Roepke. Qu'auraient-ils dit de l'imbroglio en cours ?

PS: on pourra lire avec intérêt sur le sujet du rôle des banquiers centraux l'article récent écrit pour Asia Times par Hossein Askari and Noureddine Krichene