mardi 28 avril 2009

Chine, l'aggiornmento est-il encore possible ?

Le cœur industriel de la nouvelle économie mondiale est désormais implanté en Chine, précisément dans une large bande côtière établie tout le long du littoral chinois. C'est là, et vraisemblablement pour quelques décennies, que va se jouer une bonne part de l'avenir de notre planète. Grand intégrateur industriel, doté d'une fantastique réactivité - celles des nouveaux capitalistes privés chinois - cette zone de la planète a constitué en moins de quinze années un formidable outil au services de notre humanité.

On se prend à imaginer la Chine assurant le relais des US sur la scène politique internationale. En offrant à tous les pays du monde, y compris les plus pauvres, le spectacle de l'enrichissement à la fois spectaculaire et pacifique de ses ressortissants. Le spectacle des jeux olympiques de Pékin fut pour beaucoup, chinois ou non, l'annonce de cette ère nouvelle, celle d'une population chinoise, active, joyeuse et citoyenne du monde.

Cette hypothèse optimiste ne doit pas être évacuée. Car la Chine offre les leviers d'un développement harmonieux. Mais il ne faut pas se voiler la face. La situation actuelle ne répond pas aux attentes légitimes que tous peuvent avoir. Citoyens ordinaires chinois en tête. Et les risques sont désormais nombreux de voir le modèle de développement choisi par ce pays déraper à court et même moyen terme (5 ans).

La Chine est effectivement à la croisée des chemins. Elle doit impérativement modifier son modèle de développement comme l'ont fait avant eux, sur des proportions considérablement plus faibles, les tigres que l'Asie a lancé dans l'arène internationale, du puissant Japon à la Corée sans oublier les nombreux miracles de taille modérée que comporte la région Asie-pacifique, de Taiwan à Singapour et Hong Kong.

Tout le monde le ressent intuitivement. La Chine est potentiellement aux portes d'une nouvelle époque, un nouvel "age d'or". Elle dispose de tous les leviers utiles, le capital qui a manqué si longtemps, les savoir-faire transférés et les infrastructures en place. Ne manque qu'une juste et intelligente gouvernance pour accéder au premier rôle sur la planète.

Pourtant en cette période de crise financière et monétaire majeure, que constate-on nous sur le plan interne chinois ? Ne nous leurrons pas sur la paisibilité de la vie politique interne du pays. Le débat s'est considérablement tendu.

Tensions entre les partisans d'une normalisation progressive de l'économie chinoise sur ses acquis actuels associée à une revalorisation progressive de sa monnaie et ceux, visiblement désormais majoritaires, d'une poursuite du développement dans des conditions proches de celui des vingt dernières années. Sur fonds d'accroissement persistant et massifs des capacités industrielles et de concurrence interne.

Tensions que l'on pourra utilement simplifier en la ramenant schématiquement entre une côte désormais massivement développée vraisemblablement soucieuses d'évoluer vers un modèle proche de la Corée ou du Japon. Et d'autre part des régions plus lointaines qui n'ont pas encore atteint les places du podium. Tension arbitrée avec talent par Pékin. Mais non sans difficulté. Et surtout tension désormais largement concentrée sur le débat monétaire et ses accessoires, de la subvention aux exportations à la politique de crédit et d'infrastructure.

J'invite ceux qui ne l'ont pas fait à lire les posts parfois confus mais toujours utiles de Michael Pettis sur les développements monétaires et financiers chinois. Il semble bien clair que le pays est entrain de tenter de résister à la crise en forcer l'allure sur le plan de la politique de crédit et celle des infrastructures publiques. Aux dépens du nécessaire aggiornmento.

Forcer la machine est évidement une solution qui s'impose souvent en période difficile. Mais elle peut être risquée lorsqu'il faut en pratique d'abord et avant tout modifier son cap. La direction est bien souvent aussi essentielle que l'énergie déployée.

Les enjeux sont nombreux et les solutions sont claires. La Chine doit vraisemblablement dans un même élan :
  • permettre à ses champions industriels de monter la valeur ajoutée de leur exportations,
  • faire le deuil de certains pans de son développement initial, textile en tête,
  • associer ses citoyens ordinaires aux fruits de l'expansion.
Sur le plan pratique cet accès à la modernité n'implique pa nécessairement une liberté politique à l'occidental. Mais à minima par :
  • en priorité, la flottation de sa monnaie et l'acceptation de ses conséquences,
  • l'intégration au droit commun international de la propriété intellectuelle,
  • la mise en place de minima sociaux explicites, tout particulièrement en matière de santé.
La Chine n'est pas en mesure - pas plus que qui que soit - réaliser l'impossible. Et c'est pourtant bien le plan actuel du gouvernement chinois qui a émis clairement le souhait de :
  • continuer sa politique de "monnaie faible" et de subvention fiscale à l'exportation,
  • transférer les industries à faible valeur ajoutée dans l'Ouest du pays contre toute logique géographique et énergétique,
  • spécialiser les côtes dans les industries à haute valeur ajoutée sans modifier le modèle de création de valeur.
A court terme - dans le contexte de la crise en cours - le gouvernement semble continiuer de privilégier des efforts massifs d'infrastructure et l'augmentation des capacités industrielles par une politique de crédit très active. Au dépens de l'indispensable ré-équilibrage de l'économie au profit de la consommation interne.

Pour votre serviteur, ces choix tiennent plus du souhait de maintenir le consensus entre de très nombreux et très constradictoires "courants" que de la volonté de réaliser un "grand bond en avant". Mais les résultats risquent d'être très décevants.

Quels résultats ? A court terme, une augmentation désastreuse des surcapacités industrielles. A moyen terme, un affaiblissement progressif de la position concurrentielle de la Chine et surtout un retard à l'allumage considérable en matière de développement des "hautes technologies". Et évidement un accès toujours repoussé pour ses ressortissants aux fruits de leur impresssionnant développement.

C'est dommage. Le gouvernement chinois travaille dans un environnement particulièrement difficile et contraint. Ses marges de manœuvre sont donc particulièrement étroites. Car le pays est fort peuplé et relativement pauvre sur le plan des ressources. Une situation sans rapport avec les formidables leviers de pays mieux dotés par la nature et moins lourdement peuplés.

Ce serait une grosse déception. La planète a besoin de l'intelligence et de la consommation chinoise tout autant que de leur labeur et de leur industrie. Restent de réels motifs de satisfaction. Sur le plan interne, celui des média et de la législation qui progressent. Et surtout sur la scène diplomatique internationale où les autorités font, et depuis bien longtemps, preuve d'une sagesse que beaucoup de nos pays pourraient lui envier.

Espérons que le pays prenne rapidement la mesure des risques qu'il prend actuellement. On peut l'espérer et le souhaiter. Mais quelle que soit la qualité des gouvernants, il faut anticiper également les conséquences d'une poursuite de la politique en cours. La montée rapide des surcapacités chinoises ne peut être que désastreuse pour l'ensemble des acteurs des secteur industriels traditionnels.

Quelles conséquences sur votre épargne ? La Chine est lointaine sur le plan géopolitique. Elle est pourtant désormais toute proche sur le plan économique et financier. Ne sous-estimez pas les risques associés à l'échec des chinois à trouver la sortie élégante à leur remarquable parcours.

Si la Chines trouve les moyens d'un développement harmonieux et adouci, c'est en Asie à proximité du nouveau géant qu'il vous faudra investir massivement. Mais pas nécessairement en Chine, laquelle n'a absolument plus besoin de capitaux. Le pays n'a guère besoin de capitaux extérieurs à la recherche d'une "rente de situation". Il n'en n'aura bientôt plus le souhait.

Si le pays persiste dans le cheminement en cours nous aurons à coup sur dans un premier temps, des surcapacités délétères qui vont littéralement miner tous les secteurs industriels exposés. Et vraisemblablement des tensions majeures sur le plan des échanges commerciaux. Les multinationales exposées au risque de surcapacités risque de payer très chèrement à la fois les guerre de prix qui vont marquer la période et tout aussi vraisemblablement la réduction des échanges internationaux.

Dans un second temps, la dégradation des termes financiers et économiques amènera la Chine à réduire très sensiblement son crédit-fournisseur d'état - le fameux achat systématique des obligations d'état américaines - au profit d'acquisitions plus tangibles. La porte des marchés-action de l'OCDE lui étant fermé - à juste titre - gageons que c'est sur le terrain des minières, les champs pétroliers et sur les productions à terme des pays tiers qu'elle fera porter son effort.

Alors s'il fallait rentrer actuellement en bourse sur une dynamique sectorielle c'est sur le terrain des valeurs de l'énergie et de l'agro-alimentaire maitrisant leurs approvisionnement soit par leurs actifs ou leurs contrats à terme que je jouerai. S'il fallait parier sur une carte géographique, c'est bien en Afrique et en Amérique du Sud que je placerai des pions. Le risque est grand que nous changions de registre. Pour passer d'une aimable partie de "Monopoly" au jeu "richesse du monde". Espérons que l'ambiance reste cordiale.

PS: concernant le Tibet souvent évoqué sur les forums français, je comprend la situation et les souffrances qui y sont associées mais vous remercie de remettre ce dossier à sa juste place qui est de "politique interne".

jeudi 2 avril 2009

Les capacités divinatoires des marchés financiers

Note préliminaire : suite à des demandes légitimes de clarification, ce post moins articulé qu'à l'ordinaire a fait l'objet d'une ré-écriture partielle.

"Le marché nous dit que la déflation est là pour les quatre prochaines années".

Cette réflexion puisée parmi les commentaires d'analystes fait figure de formule de style communément admise. Nous n'y souscrivons pas. Non qu'il ne soit pas envisageable que l'hiver déflationniste ne s'abatte durablement sur nos pays, hélas ...

"Que la déflation soit là pour les quatre prochaines années" fait partie de l'ordre du possible. En revanche nous n'acceptons pas la première partie de la proposition "Le marché nous dit que ...".

Oui, certes les marchés nous délivrent des informations précieuses. Sur la rareté des ressources, la santé des acteurs. On peut parfois même y trouver des indications utiles sur l'avenir de no sociétés. Mais uniquement en temps ordinaire lorsque ces marchés assurent leur rôle de régulateurs.

Les marchés ne fonctionnent que dans la mesure où les instruments de ces marchés sont eux-mêmes opératoires. En période d'instabilité monétaire majeure, les marchés, et tout particulièrement les marchés d'actifs, ne sont plus des baromètres de l'activité économique ... Ou plus exactement les marchés nous indiquent par leur volatilité excessive voire même leurs mouvements contra-cycliques que les fondamentaux mêmes du système monétaire sont perturbés. Et qu'ils sont incapables d'assurer d'eux-même les régulations qu'on peut légitimement attendre de leur part.

Reprenons à ce propos la formulation célèbre de Ludwig Von Mises. Une citation qui résume parfaitement le cœur de l'argumentation des "économistes autrichiens" en matière de gestion de crise majeure : "There is no means of avoiding the final collapse of a boom brought about by credit expansion. The alternative is only whether the crisis should come sooner as a result of a voluntary abandonment of further credit expansion, or later as a final and total catastrophe of the currency system involved."

En clair dans un régime monétaire perturbé par un niveau de dettes dépassant la capacité systémique des acteurs à les rembourser par des moyens usuels - les surplus de l'activité économique ordinaire - le système ne connait que deux issues. Deux résolutions possibles , totalement antagonistes. La faillite des opérateurs, étranglés par le poids de leurs dettes ou la destruction des instruments monétaires servant de base aux opérations financière.

Dans un tel contexte, les marchés et surtout les marchés strictement financiers - n'assurent évidemment plus leur rôle attendu
. Or c'est bien cette situation qui caractérise actuellement une bonne part de l'économie mondiale. Et sans le moindre doute des pays tels que les US, le Royaume-uni et l'Espagne ainsi que de nombreux poids mouches de l'économie mondiale trop nombreux pour les citer ici.

Dans un tel environnement, les marchés n'enseignent ni ne régulent plus rien. Ce sont au mieux que des "chiens fous". Oscillant sous selon le comportement des acteurs et la nature des interventions des banquiers centraux entre désinflation brutale - associées aux liquidations en urgence opérées sur les marchés - et les conséquences massivement inflationnistes d'une création monétaire excessive et surtout asymétriquement et injustement distribuée.

Je dis bien "au mieux", car non contents de ne plus assurer leur rôle spécifiques, les marchés deviennent"au pire" le lieu de manipulations particulièrement perverses. Par des opérateurs bénéficiant des ruptures en cours. Que ces ruptures soient déflationnistes, faillite des opérateurs privée, ou inflationnistes et liées aux injections de cash asymétriques des sauveteurs du système, les grands argentiers.

On se souviendra par exemple de la belle partie de poker menteur réalisée sur le pétrole lors de sa montée à 150 dollar le baril sous l'effet des leviers mis à disposition par les grands argentiers. La descente du cours de certaines matières premières - dont la consommation est faiblement élastique -à des cours notablement en dessous des couts de production procède des mêmes ressorts. A l'inverse.

La seule chose que nous savons de manière raisonnablement sûre est qu'actuellement le système-dollar a basculé vers le défaut de paiement en lieu de la régulation progressive par la dévaluation-surinflation modérée et souhaitée par le grand timonier Bernanke. Un véritable étau. Et qu'une bascule inopinée vers le chaud - l'inflation excessive, au delà de 15%, que l'on peut qualifier comme on voudra - fait pourtant partie des hypothèses. Ce retournement éventuel pourrait être tout aussi brutal que la course aux tangibles que nous avons connu il y a si peu ...

S'il y a bascule, le marché ne verra pas surgir ce mouvement plus qu'il n'a vu venir la désinflation en cours. Car c'est bien les instruments même de l'activité des marchés qui sont perturbés. Et cela aucun marché ne peut le réguler. Sauf évidemment les marchés de l'argent eux-même - via les taux d'intérêt. Mais ceux-ci sont désormais sous le contrôle des autorités monétaires qui tenteront tout ce qui est dans leurs moyens pour éviter la terrible sanction que préparent les marchés obligataires. Et ce sur toutes les échéances désormais, les longues comme les plus courtes.

Les autorités monétaires ayant largement pipé les mécanismes de régulation des marchés de l'argent, on ne peut tabler à court terme sur le retour aux équilibres par la vertu de la dynamique des marchés. Ces déséquilibres vont perdurer.

Dans un tel contexte, je n'ai qu'une seule recommandation : "ne cherchons pas systématiquement de rationalité économique ultime aux mouvements en cours sur les marchés. Considérons cette survolalité pour ce qu'elle est et tentons de sécuriser la nature de ses propres créances sur le système". Ce qui n'est pas facile.

Bonne chance à tous.