mercredi 1 juillet 2009

Volcker, l'éco sur une fine couche de glace

Non, la crise en cours n'était ni imprévisible ni imprévue. Et le choix des dirigeants est évidement, de ce point de vue, essentiel :

Le grand banquier central qui sauva le dollar d'une mort prématuré - au prix d'efforts considérables - au début des années 80 et qui donna à la droite américaine, en raison de la brutalité de son intervention, les arguments fondateurs de son discours néo-CON - nous sort le 10 avril 2005, excellent timing, un texte attirant l'attention des "policy makers" sur la nécessité d'un coup de barre.

Le texte de Paul Volcker est simple, lisible et, a posteriori, d'une totale lucidité. On le relira avec intérêt et, rétrospectivement, on appréciera le choix des mots et son incroyable sens du timing et la lucidité du policy maker. Un extrait de l'article :

"Il n'est pas si difficile sur le plan intellectuel de définir un scenario combinant "atterissage en douceur" et de croissance soutenue. Il existe une vaste zone de consensus parmi les économistes de l'Establishment sur le scénario idéal : la Chine et les économies asiatiques devraient permettre et faciliter une appréciation substantielle de leurs taux de change vis-à-vis du dollar. Le Japon et l'Europe devraient oeuvrer rapidement à la mise en place d'un plan de stimulation et s'attaquer efficacement et rapidement aux obstacles structurels à la croissance. Et les Etats-Unis, par une combinaison de mesures à définir, doivent augmenter fortement le taux de leur épargne interne et réduire ainsi leur importations.

Pouvons-nous, avec un quelconque degré d'assurance, imaginer que puissent être mises en place rapidement l'une ou l'autres de ces politiques et moins encore l'ensemble d'entre elles ?

La réponse est non. Et c'est pourquoi je penses que nous sommes entrain littéralement de patiner sur une couche de glace de plus en plus fine. Sur la trajectoire actuelle, les déficits et les déséquilibres vont s'accroitre. Arrivé à un certain point, la confiance dans les marchés des capitaux qui soutient aujourd'hui si aimablement les flux financiers vers les Etats Unis et cette économie mondiale en croissance pourrait faiblir. C'est alors qu'un évenement ou une combinaison d'évenements pourrait perturber les marchés, entrainant une volatilité destructrice à la fois sur les marchés des changes et celui des taux d'intérêt. Nous avons connu cela durant la stagflation des années 70 - un dollar volatile et déprimé, des presssions inflationnistes, une augmentation soudaine des taux d'intérêt et quelques fortes récessions.

La leçon que je tire est qu'il est de notre plus grand intéret de faire ce que nous pouvons pour minimiser les risques et s'assurer que l'on dispose du temps nécessaire à un ajustement en bon ordre. Je ne suggère rien d'hétérodoxe ou d'inutilement complexe. Nous avons besoin d'une volonté d'agir maintenant - et l'année prochaine, d'agir même si, à la surface des chose, tout semble paisible et favorable."

Mais tout mérite d'être lu avec attention. Encore actuellement en 2009. On pourra contraster ce texte de Paul Volcker avec celui de Ben Bernanke du même jour.

Le capitaine du Titanic tient à y rassurer ses passagers. Le texte indique clairement que le Bernanke de 2005 n'est guère "aux manettes", se réservant dans une posture très académique et professorale pour un simple constat distancié. Celui que que les asiatiques financent les déficits américains. Et, sur le fonds , qu'il ne faut pas s'en inquiéter à court terme. Il y réussira d'ailleurs au delà de toutes espérances.

Les marchés de la dette privée anglo-saxonne, rassurés par le discours rassurant des autorités, vont prendre acte de cette caution morale et politique provoquant, sur fonds de sécurité financière absolue, un emballement planétaire sans précédent historique de la machine immobilière, du private equity et de la spéculation sur les marchés des dérivés de crédit.

L'introduction du discours du grand argentier est d'une clarté limpide. Je cite :

"Je dirai que sur la décade précédent, une combinaison de forces diverses a provoqué une augmentation significative de l'offre d'épargne - un "savings glut" global - qui explique à la fois l'augmentation du déficit courant des comptes des Etats Unis ainsi que le niveau relativement faible des taux d'intérêt long terme dans le monde aujourd'hui.

L'anticipation d'une augmentation massive du ratio retraités/travailleurs dans un grand nombre d'économies industrielles est l'une des raisons de ce taux élevé d'épargne globale. Pourtant, ainsi que je préciserai ultérieurement, c'est le renversement des flux de crédit des économies émergentes qui constituen l'un des aspects les plus intéressants du "savings glut" global. Un mouvement qui a transformé ces économies d'emprunteurs sur les marchés internationaux des capitaux en préteurs nets massifs."

C'est effectivement un Ben Bernanke au ton détaché presque extérieur à sa fonction. Lequel ne voit effectivement absolument rien venir. A moins qu'il n'y renonce de manière anticipée à toute action dans les domaines touchant à ses attributions. Pour le patron de la banque fédérale US, à moins de deux années du crash, la facture des crédits se règlera à long terme, in the long run. Vraisemblablement par la "magie des marchés". Citons un second extrait. A charge évidement :

"Un second problème se pose concernant l'emploi réalisé par les Etats Unis et les autres pays industriels ayant des déficits externes de ces crédits internationaux. Parce que les investissements en équipements professionnels ont été faibles ces dernières années - en raison de leur cyclicité et pour d'autres raisons - et parce que le système fiscal et financier des Etats Unis et de nombreux autres pays ont été conçus pour favoriser l'accès à la propriété par les ménages, une large part des flux de capitaux récents s'est glissé dans la construction de logements et dans l'augmentation des prix. Ces prix plus élevés ont encouragé les ménages à augmenter leur consommation. Bien sûr, l'augmentation du taux de propriétaires individuels et celle de la consommation des ménages sont de bonnes choses. Pourtant sur le long terme, les gains de productivité seront tirés par les investissements "non-résidentiels", tels que les achats de nouvelles machines. Plus les flux de capitaux augmentent la construction résidentielle et surtout la consommation des ménages, plus la charge économique associée au remboursement de la dette externe sera lourd".

L'Internet peut être particulièrement cruel. A moins que ce ne soit la réalité des faits qui le soit. En qualité de modeste "détenteur de liquidités", le terme déprécié dont nos amis banquiers affublent l'épargne des agents économiques, mon choix est fait. La planète a besoin d'un système monétaire solide et d'un banquier central en prise avec les réalités de son métier. Un Volcker plutôt qu'un Bernanke.

Mais évidemment, nous le savons tous. L'économie US, et plus important encore, son "corps social" ne sont tout simplement pas en mesure de supporter le traitement nécessaire à la remise en selle de ses fondamentaux monétaires et, en conséquence, financiers et économiques.

Le pays va vivre une conjonction de déflation durable des actifs doublée d'une "inflation importée" massive, d'Asie pour les produits industriels, et de toute la planète pour ses "commodities". Le terme de stagflation ne convient pas pour décrire les symptômes prévisibles. Mais à défaut, on s'en satisfera.

Les choix faits par les autorités politiques et monétaires des US en termes de sauvetage ne nous laissent guère de raison d'être optimiste sur la capacité du tissu économique nord-américain - "non le tissu économique ce n'est pas les banques !"- à faciliter le retour des US dans le grand bain des échanges industriels. Et pourtant ce retour est tout simplement indispensable à la survie d'un système monétaire actuel gagé sur la capacité de ce grand pays, les US, à honorer ses engagements.

A moyen terme, la glissade sera difficilement contrôlable. Les particuliers américains font actuellement leur part du travail en reprenant le chemin de l'épargne nette. Un effort justifié quoi que tardif et contrecarré à contre-cycle contre la logique des évènements par une administration publique qui tente désespérément de relancer un moteur qui vient bien de caler.

Les choix de l'administration Obama traduisent le primat du financier sur l'économique et le souhait du retour au statu quo précédent. Sans revenir sur les sources de cette crise, née d'un cocktail de dés-industrialisation, de surconsommation privée et publique sur fonds d'engagements militaires et de perte de repères sur tous les plans.

Ce choix politique favorise outrageusement la sphère financière et va contribuer à détruire un peu plus la confiance du peuple américain en son gouvernement fédéral. A un moment où celui-ci a un impérieux besoin d'être soutenu.

Devant ce noir constat et pour ne pas perdre espoir devant la glissade ploutocratique du pays, on pourra lire les textes de marginaux idéalistes qui veulent redonner aux US leur place de choix dans le concerts des nations industrielles.

Tel que http://economyincrisis.org/ (en VO US). Et bien sûr la remarquable blogosphère financière US dont le courage et la détermination à dire, souvent à visage découvert, la vérité des évènements est à mettre au crédit de ce grand peuple.