mardi 27 janvier 2009

Etre positionné cash en Euros ?

Pour l'épargnant ordinaire, la question ne se pose pas. Pour des raisons évidentes, tenant à la fois du bon sens - ses dépenses sont pour l'essentiel en Euros - et des raisons règlementaires et fiscales, son cash est en Euros. Sous des formes et avec des échéances variables.

Le placement en euros est celui de l'évidence pour un ressortissant de la zone Euro, est-ce un placement de raison ? C'est avec un regard, non de citoyen, mais bien d'épargnant critique sur les évènements des derniers mois que je vous propose d'examiner les dynamiques commerciales à l'œuvre tant sur les marchés des monnaies que sur celui de l'épargne.

Depuis quelques mois, durant le dernier trimestre 2008, les média économiques puis les colonnes économiques des supports grands public entonnent le couplet de la déflation. Rejoignant en cela des analystes francs-tireurs tels que Mike Sheldock ou, plus près de nous culturellement, Loïc Labadie.

Je n'apprécie pas ce mot de déflation, largement associé à des images historiques fortes. Le terme décrit des situations datées précises et durables et dont le dernier avatar fut la période qui a suivi la crise financière japonaise de 1990.

Nous ne sommes ni en 1990 ni surtout dans le circuit relativement fermé de la finance japonaise de cet époque. Revenons donc sur ces définitions lancées à l'automne 2008 pour qualifier la situation en cours.

La déflation c'est bien sur d'abord une baisse significative de la masse monétaire en circulation. Mais dans l'esprit de tous elle s'accompagne d'un corolaire immédiat, une baisse des prix accross the board dans un contexte de surcapacité et de flexibilité du système économique et social.

Cette baisse forte de la masse monétaire s'accompagne donc d'une baisse des prix des actifs spéculatifs qui ont soutenu le boom précédent mais également une réduction de l'activité économique. Ce qui déclenche, en raison des surcapacités en moyens de production, une baisse des prix industriels, des salaires et, bien sûr, baisse des prix à la consommation.

C'est clairement le schéma auquel les économistes associent la période en cours. Avec comme conséquence immédiate pour la gestion patrimoniale ... la préférence absolue pour le cash et le rendement même faible des placements obligataires.

Nous n'avons pas sur ces forums vocation à remédier aux problèmes en cours ou à vendre des produits d'épargne. Mais d'essayer de qualifier la situation pour ce qu'elle est. Au profit de l'épargnant individuel dont les intérêts ne sont guère défendus par les supports d'une presse financière plus soucieuse de ceux de ses annonceurs que de la pérennité des bas de laines des classes moyennes ...

Les analystes qui tentent désespérément de faire passer la situation actuelle au Royaume-uni pour déflationniste ont, comme le disent les anglo-saxon, un agenda politique : "Tenter d'offrir durablement une rémunération négative aux capitaux libellés en livres tout en évitant la fuite des dits capitaux sur d'autres supports monétaires ou vers des actifs tangibles ou exotiques".

Rien ne permet d'assurer pour autant que la situation actuelle ne prennent les attributs mentionnés précédemment. C'est à dire une déflation dans un contexte de monnaie relativement solide. Certes concernant les prix des actifs, l'affaire est entendue. Ils vont baisser et, ce pour une période a priori relativement longue.

Concernant les prix à la consommation et les ajustements salariaux en revanche, rien n'est assuré. Et surement pas la déflation ...

Les pays européens, en particulier, sont très largement régulés et grevés pour la plupart d'une dépense publique essentiellement inélastique. Rien ne permet d'assurer qu'ils soient en situation d'entrer, comme les US de 1930, dans un ajustement économique par les prix. Et tout particulièrement par ceux de la main d'œuvre. En clair une "spirale négative vicieuse" prix-revenus-activité telle qu'elle semble effectivement s'installer partiellement aux US depuis le début de 2008.

Ce type de spirale déflationniste ne se met en place que dans le contexte précis. Celui d'un potentiel de production considérable et d'un volant de régulation économique et social relativement réduit. Est-on dans cette situation ?

Sur le plan quantitatif d'abord, celui des capacités.

D
e nombreux pays européens, Espagne et Royaume-uni en tête, ont une capacité de production de biens commercialisables (tradable goods) très insuffisante. Leur position est d'abord celle d'importateurs nets massifs de biens potentiellement en rupture de financements externes à échéance rapprochée.

Cette situation ne ressemble en rien à celles de pays comme les US au début des années trente ou, plus près de nous, le Japon, l'Allemagne des années 90
, voire dans une moindre mesure, la France de la fin du Mitterandisme.

Sur le plan qualitatif, celui de la capacités des acteurs à s'adapter à une situation de surcapacités par un ajustement sur les prix.

On connait ce scénario construit sur la fameuse modération salariale. Puis la spirale vicieuse de l'ajustement négatif "baisse de la consommation-surstocks et surcapacités-baisse des prix-baisse des salaires-baisse de la consommation-..."

Dans une majorité de pays européens, de nombreux secteurs économiques sont très largement régulés sur le plan social et parfois même économique. Les adaptations dont sont capables ces marchés sont parfois excessivement faibles. Citons l'immobilier espagnol qui peine à reconnaitre via les prix de marché la réalité objective de ses propres surcapacités.

Quand les salaires sont fixes et les ajustements de main d'œuvre restreints, la seule issue est bien souvent l'endettement puis, in fine, la suppression des capacités de production ... Pas l'ajustement par les prix.

Dans un tel contexte, nous risquons de voir tout autant se développer une situation bien différente de celle de la déflation des livres d'histoire économique. Une situation marquée par la destruction de l'offre, la faillite des opérateurs économiques en dépit des soutiens et une montée spectaculaire du chomage ... Mais sans ajustement significatif des structures de prix.

On pourrait d'ailleurs hélas voir se développer un véritable marasme marqué par des pénuries inflationnistes dans certains secteurs-clé en raison de l'incapacité du tissu économique à s'adapter à la nouvelle donne. Le credit crunch n'est pas un mythe. Ces conséquences ne le seront pas non plus.

La déflation à la japonaise - ou à l'allemande - est finalement un scénario assez rose. Et tellement vendeur en termes de rendements obligataires. Sous l'ombrelle verbale de "déflation, abri du rentier", le marché de l'épargne ne va pas manquer de propositions assises sur des supports obligataires garantis sous l'argument apparemment imparable "Votre argent est au chaud. Le pouvoir d'achat de votre épargne grossit certes faiblement au fil de la déflation, Mais ce rendement nominal faible vous protège justement d'une fiscalité confiscatoire".

Cet argument facile tient pour des marchés obligataires travaillant sur de supports monétaires robustes. Est-ce le cas du Royaume-uni en 2009 ? Sera-ce le cas aux US en 2010 ? Je n'en prendrais pas le pari.

Concernant la solidité des placements libellés en Euro, l'affaire est évidemment différente.

Mais le bilan dépendra au final de la réaction des peuples latins et slaves qui ont rejoint le bercail européen durant les trentes dernières années. S'ils sont capables de tenir le choc en cours en opérant autour de solidarités familiales traditionnelles une véritable refondation de leurs modèles de consommation sans conséquences préjudiciables pour l'économie en place, on peut imaginer une issue relativement élégante à cette crise.

Il sera alors temps de mettre en place une préférence européenne raisonnable afin de répondre au dumping monétaire de certains. Et redonner vie à la dimension du grand marché européen souhaité par ses fondateurs ...

Mais il est sur ce point impossible de mettre la charrue avant les bœufs. On fait le deuil partiel d'un certain consumérisme à l'américaine sans pour autant revenir aux vieux démons communistes ou franquistes ou abandonner l'acquis européen libéral, on serre la ceinture et on relance ensuite.

Si des tensions politiques trop fortes se font jour dans la zone Euro autour d'appels à la solidarité masquant maladroitement une volonté délibérée de repousser certains ajustements in aeternum, l'Euro pourrait vivre une épreuve de vérité. Et connaitre, comme pour la monnaie américaine, des taux d'intérêt d'un tout autre tonneau.

Pour l'instant tout cela est relativement bien parti. L'Espagne, particulièrement touchée, affronte la situation avec courage. Espérons qu'elle sache organiser les solidarités indispensables. Sans démagogie.

Certes la Grèce ne va pas fort. Mais espérons, outre qu'elle assume élégamment ses propres contradictions, qu'elle constitue surtout l'exception susceptible de confirmer la règle d'une Europe socialement sure, politiquement harmonieuse et économiquement dynamique.

En conclusion, du placement en Euros, yes. C'est déjà un bon point ... Sur des taux fixes et des durées longues, il est évidemment trop tôt pour le faire.