mercredi 25 mars 2009

L’actualité brulante de la pensée de Jacques Rueff

« Le monde est tragique parce que les hommes inventent de toutes pièces des tragédies superflues, c'est-à-dire qu’ ïls ne sont pas sérieux. »

Henry de Montherlant.
La Rosé de Sable, p. XIII

Il y a une quarantaine d’année, un économiste français de renom, Jacques Rueff publiait, à l’age de soixante-quinze ans son dernier ouvrage « le péché monétaire de l’occident ». Réquisitoire courtois mais sans ambigüité contre la politique monétaire de son temps, ce livre reprenait les thèses de l’économiste sur l’urgente nécessité d’une politique monétaire rigoureuse.

Jacques Rueff y évoquait également solennellement une dernière fois son soutien historiquement décalé pour une re-monétisation ordonnée du métal jaune. On peine aujourd’hui à comprendre le sens de cette proposition. A l’issue d’une longue période de stabilité monétaire relative. Mais l’or représentait encore à cette période - les années soixante dix - un moyen de stockage de la valeur patrimoniale encore communément admis.

Je ne peux que sourire en 2009 à la manière dont l'étudiant que je fus perçut tant la prose de cet économiste que sa personnalité. Je fis comme mes collègues étudiants en économie un lecture respectueuse des arguments employés. Non sans trouver aux arguments de Jacques Rueff du poids certes. Mais également un arrière-gout de troisième république pour ne pas dire un franche odeur de naphtaline !

La cinquième république entrait alors déjà dans son vingtième anniversaire. Et les élites françaises, pressées depuis l’arrivée aux affaires de Georges Pompidou d’entrer dans une modernité libérale, cultivaient tout à la fois le respect patriote du Gaullisme des années 60 et, sur un autre registre, un désir immodéré de nouveauté. Dans tous les domaines.

En matière économique et financière, ce progrès, cette modernité se formulaient, comme en matière artistique, en langue anglaise et se libellaient systématiquement en dollars US ... Et la récente et très officielle démonétisation du métal jaune - par Nixon le 15 aout 1971 - apparaissait soit comme un non-évènement soit un dernier et vigoureux « coup de pied au fesses » donné aux folkloriques réserves d’or des banques centrales et à une « pensée magique » d’un autre age.

Nous entrions avec enthousiasme dans la phase ultime de la dématérialisation des transactions commerciales, financières et bancaires et pressentions tout ce que cette dématérialisation monétaire apporterait au commerce et à l’industrie … Tout particulièrement à l’international.

Peut-être aurais-je du à cette époque tenter de comprendre la conclusion de l’ouvrage mentionné dont je rappellerai ici les lignes de conclusion particulièrement explicites :

«Tant que n'aura pas été rétabli un régime de monnaies convertibles, corrigé de la perversion que l'étalon de change-or a infligée au système construit à Bretton Woods, le monde restera voué au déséquilibre des balances des paiements, à l'insécurité monétaire, aux migrations erratiques de capitaux, à l'instabilité des cours de change et à tous les désordres qu'entrainent l'ignorance des hommes et la faiblesse des institutions.

On croirait, en observant l'évolution du système monétaire international, que l'Occident s'applique à mettre en œuvre le conseil de Lénine, suivant lequel :

‘Pour détruire le régime bourgeois, il suffit de corrompre sa monnaie.’ Comment admettre que pareille faute soit commise principalement par le pays qui a voué tant d'efforts et tant de soins à préserver, pour lui et pour les autres, le régime de la libre entreprise et qui a consacré tant de sang à sauvegarder dans le monde la liberté.

Puissions-nous, avant qu'il soit trop tard, rendre aux mécanismes monétaires les tâches que les faibles mains et l'esprit vacillant des hommes ne sont pas, dans l'état actuel des choses, en mesure d'assumer.»

En intitulant sa dernière contribution intellectuelle à l’analyse monétaire « Le péché monétaire de l’Occident », Jacques Rueff se situait-il à un niveau que certains qualifieraient de moral voire philosophique ou religieux ? Et bien non. En aucun cas.

Si la formulation est vraisemblablement datée et peut-être maladroite - Jacques Rueff fut un homme d’action avant que d’être écrivain - le fonds est sans ambiguïté. Et sans relent moralisateur. Il s’agit d’un véritable appel à la raison d’un économiste pressentant l’imminence d’une crise majeure touchant aux instruments monétaires.

Si c’est le polémiste qui s’exprime mais c’est également le grand commis de l’état - chargé de … - qui tente d’interpeller le citoyen non sur des considérations morales mais sur le risque considérable que porte en soi toute tentative de détacher la création monétaire d’un référent indiscutable.

L’estime dont jouissait Jacques Rueff n’a certainement pas suffi à crédibiliser le message lors de sa parution. Comme je l’ai mentionné l‘époque ne s‘y prêtait guère. Et bien que l’ouvrage fut traduit en langue anglaise, il faut reconnaître que la voix du grand commis de l’état français ne porta guère.

Le message porta d’autant moins que moins de dix années plus tard, l’intervention de Paul Volcker aux commandes de la banque fédérale US US contribua au sauvetage temporaire de ce dollar « nouvelle manière » . On aura peine à donner de cette intervention une mesure juste. Elle fut brutale dans sa mise en œuvre. Sans concession.

Brutale à un tel point qu’elle provoqua un véritable électrochoc dans les milieux de la droite US. Et à une refonte totale de la pensée économique de la droite américaine autour d’une doctrine alors en gestation. Le néo-conservatisme est née de cette droite chahutée moralement et financièrement par les années Volcker.

Un conservatisme revisité et désormais oublieux des relents de « Père fouettard » de la pensée économique usuelle de la droite occidentale. Allons à l’essentiel. Car il s’agissait très largement de tenter une incroyable synthèse visant l’accession de tous à la fortune … sans l’effort.

Une doctrine dont l’élaboration progressive allait amener les autorités monétaires et politiques US à rénover le cadre conceptuel d’opération du capitalisme. Un référentiel refondu alliant capitalisme privé, une apologie fondamentale de la consommation, un certain mépris de l’industriel et de l’industrieux … et une totale dérégulation des marchés. Ceux de l’emploi. Mais également, et on voit aujourd’hui en quoi cela est essentiel, ceux des capitaux.

La suite est connue de tous les observateurs lucides, un formidable développement d commerce mondial et des transferts massifs de savoir-faire et de capitaux. Mais également une augmentation abyssale des déficits publics et privés de toutes natures, une gestion perverse des taux de refinancement bancaire et une montée progressive des liquidités structurellement décorrélée de la création de richesses.

Les conséquences de cette période durant laquelle les Asia-dollars ont pris la suite des des euro- puis des pétro-dollars, sont désormais devant nos yeux. Elles n’auraient pas échappées à Jacques Rueff, lui qui stigmatisait dès les années soixante le caractère exorbitant du pouvoir associé à l’émission de la monnaie de réserve. Et le caractère puissamment inflationniste des Euro-dollars sur notre continent.

Les déséquilibres structurels qui se sont fait jour dans le système monétaires à la faveur de cette mondialisation réalisée à marche forcée sont sur le point de rendre les échanges internationaux de capitaux privés presque impossibles.

Le système monétaire international est désormais trop perturbé pour survivre en l’état. Entre dettes privées et publiques, le niveau des engagements des grands pays est tel que le remboursement des créances est désormais impossible sans rupture.

Ce qui n’empêche guère politiques et média d’envisager des émissions obligataires tellement massives qu’aucun acteur sensé ne sait en conscience où se trouvent les souscripteurs.

Entre les émissions de dettes publiques, celles des acteurs privés des circuits économiques douloureusement percutés par l’effondrement de leurs marchés et des ménages aux revenus sans filet social solide l’équation politique est évidemment insoluble.

Il est important de le dire alors que l’on préfère escamoter à court terme le débat monétaire par peur d’effrayer les marchés. C’est à tort.

Tant que l’on aura affaire aux escamoteurs et aux faux monnayeurs, le crédit - et tout particulièrement dans ses échéances longues - restera introuvable. Et ce n'est pas en forçant les banques centrales à racheter des obligations à terme lointain sur les marchés que pour doper les marchés l'on fera revenir la confiance .... Et l'épargnant.

Il manque au débat public des voix intransigeantes de cette force pour rappeler de telles évidences et permettre aux mécanismes financiers essentiels, ceux qui permettent à l’épargne de rencontrer le besoin de crédit.

Aujourd’hui c’est bien sûr en Asie - là où se crée l’essentiel de la valeur ajoutée mondiale - qu’il nous faut espérer voir apparaitre un discours monétaire rénové.

Appelons cette prise de conscience de nos vœux. Et on fera, à défaut de croire aux remèdes illusoires des politiques, le vœu de voir apparaitre rapidement sur la scène politique un Jacques Rueff asiatique.